SIAO Paris

Rendre le 115 plus accessible

Dans le cadre de la préfiguration du projet de service puis de la rénovation du 115, le SIAO Paris a mené plusieurs concertations avec les usagers tout au long de l’année 2021. Retour sur expérience avec Laure Luyinga Nzuzi, co-responsable du pôle 115, Alexis Colin, responsable du pôle métiers, Jean-Christophe Drouard, coordinateur superviseur régulation du 115, Alexandre Folliot, chargé de mission accessibilité 115, et Nathalie Idelouali, coordinatrice du 115.  

« La bienveillance et l'inconditionnalité sont deux choses qui nous animent en permanence dans notre mission. »

Quel message pouvez-vous délivrer aux usagers quand certains pensent qu’il y a de meilleurs écoutants que d’autres au 115 ?
Jean-Christophe : Les personnes sont très investies ici, il n'y a pas de mauvais écoutants. Ils essaient tous de faire et répondre au mieux. Lorsque vous êtes en flux tendu toute une journée, que le contexte n'aide pas pour répondre favorablement en termes de mise à l'abri, l'usager est forcément déçu. Mais l'écoutant aussi.    
Nathalie : Pour remplir notre dossier, nous devons poser aux usagers de nombreuses questions. Parfois, ils peuvent avoir l'impression que nous sommes intrusifs. Mais, il n'y a jamais de préjugés de notre part. La bienveillance et l'inconditionnalité sont deux choses qui nous animent en permanence dans notre mission. 
Alexis : Tout est une question de transparence. C'est pourquoi, nous souhaitons mettre en place plus d'informations sur Internet au sujet de nos missions, expliquer comment fonctionne le dispositif du 115 à Paris, avec ses limites, pour que l'usager l'appréhende le mieux possible. 
Laure : Nous avons aussi pour projet de travailler sur des sujets de qualité, de charte d’appels qui permettent de normaliser davantage certains messages pas simples à faire passer. Ceci afin que les écoutants se sentent davantage outillés et donc à l’aise dans leur travail.

Le 115 est souvent en première ligne face au désarroi des usagers pourtant il est impuissant face aux décisions d’hébergement. Est-ce que cette situation ne nuit pas à la relation de confiance entre les usagers et le 115 ? 
Laure : Le manque de place explique le taux de réponses négatives qui reste élevé. Au bout d'un moment les usagers sont lassés et se détachent du 115. Lors de la Nuit de la Solidarité l'année dernière, 68 % des personnes rencontrées nous disaient qu'elles n'avaient plus du tout recours au 115.
Alexandre : Le 115 est l’une des principales vitrines et interfaces usagers du SIAO et plus largement du Samusocial de Paris. Pourtant, le 115 n’a effectivement pas la main sur tout et s’appuie par exemple sur Delta, le pôle Habitat et d’autres entités pour la recherche d’hébergement. Mais quand un écoutant dit à un usager « Je ne sais pas où en est la recherche pour votre demande, ce n’est pas le 115 qui s’en occupe », c’est problématique car l’usager ne comprend pas cette réponse et ne peut pas contacter directement les autres services du SSP concernés. Cela crée de l’incompréhension et de la frustration. Nous devons donc travailler à rendre nos process et organisation internes beaucoup plus fluides et transparents pour nos usagers.

Pour rendre plus accessible le 115, faut-il selon vous diversifier ses services avec la possibilité de le contacter par différents canaux (SMS, site internet, bornes, application) ? 
Alexis : Il existe en effet des moyens alternatifs. Déployer plusieurs solutions et possibilités de contacts, pourrait dégager du temps sur les appels. 
Nathalie : Il va falloir développer l'accessibilité à ces outils pour le public en faisant par exemple du lien avec Emmaüs Connect, Mais le 115 continuera de répondre au téléphone car certaines personnes ne maîtrisent pas la langue et ne savent ni lire ni écrire.
Jean-Christophe : Un benchmark réalisé récemment sur les outils digitaux utilisés par les personnes à la rue nous a permis de constater que si 100 personnes nous contactent via ces outils, au lieu de nous appeler 10 fois chacune dans la journée, cela représente au total 1000 appels en moins sur le flux du 115. Quels que soient les solutions ou les outils mis en place, cela permettrait de mieux répondre, avec moins d’attente. Il faut bien évidemment penser à des solutions intuitives, faciles en termes d'utilisation pour que tout le monde puisse y avoir accès.  
Alexandre : L'idée est de réorienter certains appels en utilisant d'autres technologies pour éviter la saturation des lignes. De fait, nous allons pouvoir recentrer le concept de priorisation de l'urgence du 115. Aujourd'hui, le seul canal téléphonique ne permet pas de prioriser les appels, on les prend comme ils viennent. Alors que demain, un SVI (serveur vocal interactif) pourrait permettre de les distribuer sur différentes lignes en fonction du motif de l'appel.

Différencier les canaux d’appels du 115 en fonction du profil des usagers, est-ce un sujet ?
Jean-Christophe : Lorsque vous appelez votre Caisse d’allocation familiale ou votre antenne Pôle emploi par exemple, vous n'avez pas envie de passer par l'accueil. Être orienté vers le bon service permet d'aller plus vite et de profiter d'une meilleure gestion. C'est donc une idée que l’on étudie et c'est toute la question autour du SVI (serveur vocal interactif).  
Alexis : Il existe déjà une répartition des appels au Samusocial entre les personnes isolées, les familles, ceux qui appellent pour la première fois ou ceux qui ont déjà appelé. C'est un écoutant qui tient ce rôle et vous oriente vers la bonne personne mais il y alors un nouveau temps d'attente. Avec un outil ou un serveur vocal interactif, ce dispatch pourrait être fait en amont. La messagerie pendant l’attente pourrait ainsi être propice à la diffusion d’informations préenregistrées selon le profil de l’usager. Par exemple, explication du fonctionnement du 115 pour les primo usagers, liste des informations à recueillir pour les particuliers qui font un signalement, etc. 

Dans un monde où le « sans contact » est à la mode, est-ce un sujet de réflexion au SIAO de créer encore plus de lien entre le 115 et les usagers par le biais d’appels en visio par exemple ?
Nathalie :  La notion de visio est intéressante car voir la personne peut nous apporter des informations supplémentaires. Au téléphone, seul le son de la voix nous donne des indications sur l'état de la personne. Certaines d'entre elles ne disent pas quand elles ne vont pas bien du tout. Avec l'image, nous pourrions être alertés plus facilement en voyant sur un visage des traits tirés par la fatigue. 
Jean-Christophe : Au téléphone, il y a un certain nombre de choses qui ne sont pas vraiment comprises et assimilées. Le face à face peut faire gagner en efficacité. Avoir une réaction faciale ou audiovisuelle permet de corriger ou adapter son discours pour une meilleure compréhension. D'un côté comme de l'autre, usagers ou écoutants, cela peut effectivement être intéressant et éviter parfois des situations d’incompréhension et de mauvaise communication. 


« La messagerie pendant l’attente pourrait être propice à la diffusion d’informations préenregistrées selon le profil de l’usager »  

Est-il envisageable de déterminer une durée d’attente dès le départ et de s’y tenir ?  
Nathalie : Aujourd'hui, la solution serait d'abréger nos appels. Mais nous ne serions plus dans l'échange avec l'usager. Nous ne pouvons pas nous permettre de répondre simplement : « Désolé, il n'y a pas de place, merci, au revoir… »
Jean-Christophe : Nous avons des estimations sur les durées moyennes de communication. Sur la ligne mixte, l’appel dure entre 12 et 15 minutes quand nous avons des situations simples, avec des gens qui s'expriment facilement en français. Dès lors qu'il y a des barrières linguistiques, ou des situations familiales qui sont difficiles, cela devient extrêmement compliqué de dire que cela va durer dix minutes. Sur des compositions familiales importantes, le temps d’écoute pour bien répondre aux besoins peut dépasser l’heure.
Alexandre : Il est effectivement très difficile d’annoncer un temps d’attente fiable à nos usagers. En revanche, la mise en place d’un SVI nous permettrait d’avoir des files d’attente mieux identifiées et de pouvoir communiquer à l’usager sa position dans celles-ci. Par exemple, « 3 personnes sont en attente devant vous, nous vous remercions de votre patience… ». 

« Nous continuerons nos concertations, avec trois parties prenantes : les équipes en interne, les usagers et les partenaires »

Un an après ces temps de concertation avec les usagers, est-ce que le 115 a modifié son fonctionnement ? 
Alexis : Nous avons mis en place une nouvelle organisation de travail pour être plus performant pendant les pics d’appels et de nouveaux process pour fluidifier les lignes tout en garantissant un suivi. Ainsi, les familles peuvent désormais nous joindre le lundi, le mercredi et le vendredi. Nous considérons que les familles qui ne nous rappellent pas sont toujours en demande de logement, c’est alors le 115 qui actualise automatiquement pour elles la demande d’hébergement d’urgence. C’est un changement par rapport au 115 d’origine où une demande formulée n’était valable uniquement le jour de l’appel. Ce nouveau fonctionnement nourrit aussi notre réflexion en termes d’outils. Par exemple, les jours où ces familles ne nous appellent pas, nous pourrions leur envoyer le matin un sms pour savoir où elles en sont. 
Laure : La nouvelle organisation de travail permet un meilleur suivi des équipes. En effet, nous avons formés des binômes de coordinateurs qui gèrent une équipe dédiée d’environ 14 écoutants sociaux dans le but d’améliorer la qualité du service rendu. Il y a eu aussi le recrutement et la création du poste de Jean-Christophe, en charge de la régulation des flux, pour apporter une vision plus claire sur la répartition du flux sur les lignes et faire des préconisations afin d’avoir un taux de réponse plus satisfaisant. 

Quelles sont les prochaines étapes de cette réflexion ?
Alexis : Dans les semaines à venir, nous allons entrer dans le volet outils, leur validation, puis passer à des phases de test avant leur déploiement. Parallèlement, nous continuerons nos concertations, avec trois parties prenantes : les équipes en interne, les usagers et les partenaires. Grâce à une vision globale, nous multiplions nos chances d’apporter une réponse complète.