SIAO Paris

À la vie à la mort…

Les acteurs de la veille sociale ont tous un point commun : celui de soulager la vie des plus démunis. L’association le Collectif des Morts de la Rue a, quant à lui, ce supplément d’âme qui l’unit aux sans-abris durant toute la vie, et même au-delà, dans la mort.

« Faire savoir que vivre à la rue mène à une mort prématurée », c’est l’objectif affiché du Collectif Les Morts de la Rue (CMDR) créé en 2003. À l’époque, une association de terrain s’alarme en prenant conscience que les personnes à la rue meurent jeunes et que personne n’en parle… Avec d’autres associations, elle décide de former le Collectif des morts de la rue, composé de travailleurs sociaux et de personnes en situation de rue. Son combat : veiller à la dignité des sans-abris que la vie n’a pas ménagés, mais qu’il n’est pas question d’oublier dans la mort. Le CMDR rend ainsi hommage aux personnes disparues, via diverses actions : installer sur la voie publique un pot de fleur ou un cimetière éphémère avec un nom, publier des faire-part, sensibiliser les médias…

La base de données la plus complète sur la mortalité des personnes sans-abri

Au fil des années, le CMDR est devenu un acteur important de la veille sociale en termes de recensement du nombre de décès de personnes à la rue et de recueil d’informations sur leur parcours de vie. En 2010, dans le cadre de travaux menés par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, la base de données constituée par le CMDR est apparue comme la plus complète sur cette mortalité. Et, depuis 2012, le CMDR reçoit une subvention de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et aujourd’hui de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), pour améliorer et poursuivre ce travail.

Le CMDR est également très actif au sujet de l'accompagnement des proches en deuil. Il propose ainsi des formations aux professionnels et aux bénévoles. Christelle Estale, coordinatrice, explique : « Il y aura forcément à un moment donné des décès. Les professionnels doivent y être préparés, pour avoir les bons réflexes et connaître toutes les démarches à entreprendre. » L’association peut compter sur l’expérience et l’appui d’anthropologues, de sociologues, d’anciens de la rue, et également sur Julien Ambard, kiné de profession et épidémiologiste par vocation. Julien a mis en place un système de veille, dont les données viennent alimenter le plaidoyer du collectif : la rue tue et mène à une mort prématurée. « En 2021, la moyenne d'âge des personnes à la rue décédées est de 48 ans, soit trente ans de moins que la moyenne de toute la société française », confie-t-il. Chaque année, l’étude épidémiologique met en lumière certains préjugés : seules 1% des personnes sans abris sont mortes d’hypothermie en 2015. « Pendant longtemps, on entendait que c'était l'hiver qui tuait, pourtant il y avait aussi des morts l'été, confirme Julien Ambard. Ce n'est pas la saisonnalité qui tue, mais plutôt la précarité et les conditions de vie. »

Le CMDR vient de signer en début d’année une convention de partage des données avec le Samusocial. Pour Julien Ambard, « Cette convention permet de s’appuyer sur la reconnaissance sociale du SIAO 75, et donc du Samusocial de Paris qui fait figure de référent. Il va permettre de proposer à d'autres acteurs de signer une convention similaire ». Et comme le souligne, Christelle Estale, « Ce que nous faisons a aussi vocation à apaiser les autres sans abris, à leur faire comprendre que nous ferons la même chose pour eux si un jour cela était nécessaire. Ils doivent savoir qu’ils ne sont ni seuls, ni transparents. Honorer leur mort, c’est reconnaître leur vie. »